La disparition – Janvier mars 2019

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3 mois. 3 mois sans venir causer ici, quasiment sans lire, sans envie d’écrire. 3 mois à traîner au fond de moi un désarroi, une envie de ne rien faire, à part mettre mon cerveau en pause à grands coups de jeux stupides sur Internet.

Au début je n’ai pas compris. J’ai mis ça sur le compte de la fatigue, je me suis dit que c’était temporaire et que j’allais vite reprendre mes activités préférées. Voyant que ça ne passait pas, j’ai pensé que notre voyage au Maroc prévu depuis de longs mois me ferait le plus grand bien. Ce fut le cas ! La découverte de ce sublime pays et de ces habitants m’a sorti de ma zone d’ombre, me ramenant vers la lumière, me faisant me sentir vivante et heureuse.

Le retour fut douloureux et lors de la reprise du travail, la réalité m’a sautée aux yeux et ce que je savais au fond de moi s’est affiché au grand jour : qu’est-ce que je fais derrière un bureau 8h par jour à effectuer des tâches creuses et inutiles ?

Lorsque je passe le portail le matin, j’ai l’impression d’entrer dans une réalité parallèle, déconnectée de ce que je vis en dehors des heures de bureau. Je me sens comme une extra-terrestre face au modèle que la société me propose.

J’allume mon ordinateur, le réseau fonctionne de façon aléatoire. Je ne suis jamais sûre de pouvoir travailler. Mais ce n’est pas très grave. Mes tâches sont tellement vaines et inutiles, tellement vides de sens, que franchement, si je ne peux pas les effectuer, ça ne manque à personne.

Grosso modo, je fais face à 4 cas de figure :

  • Mon travail de la journée est terminé en 2h maximum. Ensuite, je dois trouver de quoi occuper les 6h suivantes tout en ayant l’air débordée parce qu’il faut perpétuer la fiction générale que nous vivons dans l’urgence professionnelle perpétuelle.
  • J’ai une note à rédiger. Super, me voilà enfin occupée ! En fait non, car tout ce que je fais est remanié par le directeur de service. A la fin, il ne restera rien de la note originale qui aura pourtant été validée par le chef de bureau avant d’atterrir chez le directeur. Avec mes études de Science Po et mon doctorat, je suis donc occupée à rédiger des brouillons… Ce qui me donne le sentiment profond et déplaisant d’être une truite incompétente.
  • Je dois traiter des données, toujours les mêmes, dans des tableaux différents qui disent tous la même chose…
  • J’ai un projet passionnant à traiter (ça arrive) Il sera enterré ou confié à quelqu’un d’autre pour finaliser la procédure.

Parfois aussi, je pars en déplacement pour auditer des structures ou faire des journées d’information. Lorsque je tente d’intervenir, je me fais couper la parole ou contredire, toujours par le directeur du service. De ce fait, mon rôle est plus proche de la plante verte décorative que de la collaboratrice respectée et efficace.

J’ai souvent l’impression que mon poste n’existe que pour empêcher un chômeur de plus.

Je ne suis pas un cas isolé, nous subissons tous la même chose dans mon service. Dans le bureau d’à côté, ce n’est pas mieux, la taylorisation des process rend le travail abrutissant, vidé de sens.

La vacuité de ce que je fais me devient insupportable. Pourtant, l’entretien de recrutement vendait du rêve. Enfin un chef dynamique avec lequel les projets allaient s’enchaîner ! Au final, un directeur qui brasse beaucoup de vent, parle beaucoup, est prêt à se hisser à la prochaine promotion en écrasant les autres…

Pourquoi je ne change pas de poste ?

D’une part je ne le peux pas, il n’y a pas assez longtemps que j’ai pris ce poste, ma hiérarchie s’opposerait à mon départ.

Ensuite, et c’est le plus gros problème pour moi, voilà un peu plus de 10 ans que j’occupe des postes dans différents domaines de compétences, différents services, différentes structures et chaque fois, le même constat se pose : passé les 6 premiers mois où la découverte de la fonction m’occupe, je m’ennuie, ne suis plus occupée à 100% et rêve à de nouveaux horizons. En moyenne je passe 2 ans sur un poste, ensuite je pars.

Cependant, jusqu’à présent, je n’avais pas ressenti ce sentiment profond et destructeur de ne servir à rien.

Il paraît que j’ai l’infortune d’occuper un bullshit job, ou job à la con. D’après l’anthropologue social David Graeber, qui a fondé la notion, « un job à la con est une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer son contrat, de faire croire qu’il n’en est rien. » (Bullshit jobs – David Graeber)

Le problème avec ce type de boulot, c’est qu’ils sont particulièrement destructeurs pour les personnes qui les occupent.

J’ai beau me dire que je ne me définis pas par mon travail, que j’ai des centres d’intérêts variés et beaucoup de choses à découvrir, je n’arrive pas à me défaire de ce sentiment d’inutilité et il a fini insidieusement par envahir tout mon quotidien, me donnant l’impression de perdre ma vie 8h par jour.

Inéluctablement, je me suis laissée glisser, jusqu’à la semaine dernière où mon corps m’a envoyé des signaux très clairs. Ont suivi quelques jours d’arrêt, le temps de me recentrer, de prendre soin de moi. L’envie de lire est revenue, celle d’écrire aussi.

Je sais que je suis toujours fragile et que cet environnement professionnel est toxique. Que faire ? demander une énième mutation ? Ou changer complètement de profession ? Mais, pour faire quoi ? Autant de questions qui dansent autour de moi, sans que je sois capable pour le moment d’y apporter une réponse. Autant de peurs aussi. Peur de lâcher une situation stable et un salaire assuré. Peur de me planter, de n’être douée pour rien…

Une seule certitude : je suis heureuse d’être venue t’exposer la situation. Si tu veux me parler de ton bore-out, ton job à la con, ou de ta reconversion, lâche-toi dans les commentaires !

22 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Marguerite Rothe dit :

    Écrire pour dire, c’est déjà bien. C’est un bon début 😉

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    1. Alec dit :

      Une sorte de thérapie pour sortir la tête de l’eau et rebondir oui 🙂

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  2. Gaelle dit :

    Mais tu as un doctorat et tu fais ça ? Mais mais mais…. que s’est-il passé ? Je ne peux que te comprendre, même si je ne suis pas dans ton cas, je fuis comme la peste ce type d’emplois (et je les sens à distance heureusement). Je ne peux que te conseiller de tenter, d’oser même si ça fait peur, même si les revenus sont moindre, rien ne mérite que l’on sacrifie son existence à ce genre de tâches… bon courage pour surmonter ça (je comprends aussi la difficulté de sauter le pas) gros bisous !

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    1. Alec dit :

      Ce qui s’est passé, c’est que je n’ai pas validé ma thèse. J’ai un niveau doctorat si tu préfères. Je me suis retrouvée à devoir chercher du travail sans savoir vraiment ce que je voulais faire. Depuis j’enchaîne les postes qui me déçoivent immanquablement, mais là j’avoue, la coupe est pleine. Gros bisous

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      1. Gaelle dit :

        Ah oui je comprends… les aleas de la vie sont parfois compliqués mais je suis persuadée qu’ils auront été nécessaires à ta prochaine étape où tu seras pleinement épanouie 💚

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  3. En parler ici sur le blog est déjà une première étape qu’il ne faut pas négliger ! Je trouve ça très bien même que tu t’ouvres comme ça. Je suis encore étudiante, je ne connais donc pas ce genre de job, mais en te lisant j’ai été frappé d’un choc ! Ça existe des postes dans des entreprises payés convenablement pour une journée de boulot alors qu’en 2h c’est fini ????!!! C’est une perte d’argent oui mais aussi une perte de temps ! Je suis sûre qu’il y aurait pleins de choses à faire… Je ne connais pas ton métier ni ta vie mais l’ennui et le sentiment de ne servir à rien ne devraient plus faire partie de ton quotidien. Oui je trouve ça moche et oui j’espère que ça ira mieux ! 🙏🏼

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    1. Alec dit :

      Merci 😊
      Oui ça existe, c’est même très répandu malheureusement !
      Je sais que je vais rebondir, reste à trouver la bonne voie ☺️

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  4. Harmand dit :

    Bienvenue au club ma belle!

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  5. Une amie était dans ton cas jusqu’à il y a peu. Heureusement, son profil est recherché et elle a fini par trouver une boîte où les projets sont intéressants et on ne les lui enlève pas, etc. Mais, tout comme moi, elle travaille vite et bien – ce qui ne veut pas dire qu’il y a plus de choses à faire pour nous. C’est intéressant ce que tu dis, avec le fait de donner l’illusion d’être surbookée alors que c’est pas le cas car c’est effectivement ça – et dans beaucoup de domaines j’ai l’impression.
    Bon courage à toi en tout cas. En parler, c’est déjà un pas en avant 😊

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    1. Alec dit :

      Ton témoignage me fait du bien, il montre qu’on peut se sortir de ces postes là (car il faut bien dire qu’on s’y sent englué) 🙂

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      1. En effet, on s’y englue ! Il faut parfois se donner un sacré coup de pied mais on peut en sortir 😉

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  6. Nedjma dit :

    Ah ce sentiment de ne servir à rien…Je suis dans les mêmes dispositions, j’ai récemment pris la décision de sauter dans le vide et j’ai demandé une rupture conventionnelle à mes employeurs…cela fait 3 ans que j’occupe ce poste et bien que mes journées soient bien remplies/chargées, ça ne me satisfait pas, j’ai l’impression que mon cerveau ramollit et que la stratégie de se dire « je ne suis pas mon travail » ne fonctionne pas, puisqu’il me prend tout mon temps, tous les jours. Cela me fait un peu peur, mais je me dis qu’un temps de réflexion ne serait pas du luxe et je préfère perdre certains avantages financiers plutôt que de rentrer dans une déprime profonde à cause d’un travail qui ne me plait plus.
    J’ai hâte de passer à autre chose. Reconversion pro sans doute.
    J’ai lu « Boulots de Merde… » qui partent du travail de Graeber pour parler de la nuisance ou utilité sociale des métiers. Témoignages intéressants.
    Merci pour cet article, bon courage pour la suite.

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    1. Alec dit :

      Comme je te comprends ! Bon courage pour ta reconversion ☺️

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  7. Adlyn dit :

    C’est le gros problème des patrons incapables de déléguer, incapables de faire confiance à leurs équipes… Surtout si tu confirmes que tu n’es pas seule sous sa responsabilité dans ce cas-là. Bon courage ! Moi, ma seule idée pour me sortir d’un poste comme ça, c’est de viser plus de responsabilités mais encore faut-il qu’on nous laisse notre chance. Actuellement, pour faire face à ce bore-out que j’affronte aussi, ce que j’ai fait, c’est que j’ai ressorti un vieux dossier qui avait besoin d’une sérieuse mise à jour, suis allée voir la personne en charge et lui ai proposé de la faire. Ce qui a été accepté et me donne ainsi l’impression de faire quelque chose de mes journées. Mais ce n’est pas gagné. Et j’avoue être bien contente d’être en CDD.

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    1. Alec dit :

      Oui, c’est une grosse partie du problème, c’est sûr.
      Bon courage à toi 🙂

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  8. armoirealire dit :

    Quelle situation, je t’envoie tout le courage que je peux ! On ne se connait et il est difficile de donner des conseils dans ces cas-là.. Mais peut-être qu’une formation (en cours du soir si possible?) pourrait te donner un objectif ? Evidemment ce doit être stressant mais honnêtement, d’un point de vue d’extérieur, je ne pense pas que la situation puisse durer bien longtemps. Peut-être qu’un changement de cap pourrait te faire le plus grand bien ! J’attends de tes nouvelles, profite bien du week-end ! 😉

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    1. Alec dit :

      Merci ! Oui, j’envisage de changer de cap 🙂
      Bonne semaine à toi 😉

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  9. Alaska dit :

    Je compatis. Parce que j’ai déjà vécu ça. Jusqu’à un point de non retour. Jusqu’à me dire que je ne passerai pas 40 ans de ma vie comme ça. Mais j’avais un bon salaire et des avantages, ce qui ne se quitte pas facilement. Sauf que…ce n’était pas une vie. Et je suis partie. J’ai carrément changé de vie.
    Diplôme ou pas je crois qu’il faut oser. Trouver ce qui nous fait vibrer. Ce qu’on a envie de faire. Et foncer. Pourquoi pas? Ce sera toujours mieux qu’un travail abrutissant et même si ça fait très peur, que ce n’est pas facile tous les jours, on y trouve son compte.
    Cherche ce que tu as envie de faire au fond de toi. Pousse des portes. Montre que tu peux le faire. Et fais-le. Être bien au quotidien c’est le plus beau cadeau qu’on peut se faire.
    Si jamais tu as envie d’en discuter en privé, n’hésite pas, ça me fera plaisir! Ton billet trouve un grand écho chez moi.

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    1. Alec dit :

      Ton message me fait tellement de bien… Parce que j’en suis à ce point de non retour, ou pas loin.
      Je te contacte dans la semaine, merci 🙂

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      1. Alaska dit :

        Parfait! Ça me fera plaisir. N’hésite pas 😉

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  10. Ibidouu dit :

    Je n’ai pas grand chose à ajouter à tout ce qui a été dit au-dessus.
    Force et honneur, du courage ❤

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